Thursday, February 07, 2013

Une histoire du rap part 2

6) Votre avis sur les documentaires comme "Black dragons gang" ou "Gangs story", vu que des bandes comme les Requins Vicieux, Black Dragons ou Black Panthers ont des liens ( MC Jean Gabin, Jo Dalton, Destroyman & Jhonygo...) avec le mouvement rap? Ce sont des témoignages à la fois précieux, et à prendre avec circonspection. Précieux parce qu'ils ont contribué, dans les années 2000, à rendre public et à ouvrir le débat sur tout un pan de l'histoire du rap en France auquel seuls les plus initiés avaient accès, et encore parfois sur le mode de la rumeur et du fantasme plutôt que des faits. Reste que le surgissement de ces documentaires dans un intervalle assez court correspond aussi à une stratégie de certains acteurs, et sont de ce point de vue susceptibles de mettre en scène des faits réels pour revendiquer une légitimité dans le monde du rap en jouant de l'aura sulfureuse associée à ce style musical. Or avoir un passé délinquant ou avoir activement lutté contre les groupes skinheads d'extrême-droite ne garantit pas que l'on fera un grand artiste ou un bon homme d'affaires. L'inverse est également vrai, d'ailleurs. C'est tout le problème du "génie", magistralement résumé dans la phase célèbre de Daddy Lord C dans « Toujours plus haut ». 7) Qu'est-ce que IAM (et ses membres en solo) a réussi, que NTM ( le collectif ou les membres en solo, Yazid, Psykopat, Kool Shen, DJS, Joey Starr) a raté? L'imitation d'un solo de saxophone à la bouche. « Jazz »... 8) Votre avis sur la disparition des magazines rap comme RER, L'Affiche, Radikal, Real, Syndikat, Get Busy, Groove magazine, Rap magazine... C'est en partie une fatalité, liée au développement du numérique et aux difficultés croissantes que rencontre l'ensemble de la presse, et en partie une situation paradoxale vue l'importance du public amateur de rap en France. La persistance d'une presse musicale pour d'autres courants musicaux, parfois moins importants par leur public ou leur succès commercial que le rap, indique que quelque chose de spécifique doit se jouer au niveau des pratiques de lecture et d'accès à l'information musicale des amateurs de rap. Mais je n'ai sur la question que des hypothèses floues ! 9) Pourquoi les adeptes du son West (comprendre G-Funk) sont mal vus ( Réciprok, Sté Strausz à ses débuts, Doc Gynéco, Stomy Bugzy, et le Ministère AMER, et plus récemment Aelpeacha, CSRD, 4.21, Southcide 13, 2 Moines, Myssa...) alors que le son dirty/downsouth a bien pris en France (je pense au titre "Rap bizness" de Passi ou à des morceaux de Dabaaz sur son album de 2006 ou 2007)? J'ai l'impression qu'on a affaire là à des groupes dont la trajectoire et les éventuelles critiques dont ils feraient l'objet sont extrêmement différentes. Réciprok a été pris, dans une certaine mesure malgré lui, dans un clivage qui le dépassait, et n'opposait pas sons east coast vs west coast mais paroles légères et festives vs. critique sociale. C'est un temps assez précis de l'histoire du rap en France, qui va de la montée en épingle par les médias généralistes du succès de MC Solaar pour dévaloriser d'autres groupes (comme NTM) et des exigences en matière de format musical des grands réseaux radios en 1994-1997 au changement de programmation musicale de Skyrock en 1998. Ni Expression Direkt, ni Sté, ni Doc Gynéco n'ont connu la même opprobre. Aujourd'hui, la qualité du premier album de Doc Gynéco, par ailleurs énorme succès commercial, est largement reconnue. En ce qui concerne le Ministère AMER et Stomy Bugsy, ils jouissent d'une reconnaissance importante dans le monde du rap jusqu'à la fin des années 1990. Pour aller plus loin sur cette question, il faudrait préciser à quelles instances de jugement précises on fait référence. 10) Projets futurs.... J'aimerais travailler sur l'implantation des musiques afro-américaines en France dans les années 1960-1970. Le travail de Vincent Sermet a ouvert un vaste chantier qui ne fait que commencer. Dans la période actuelle, je m'intéresse aussi à cette catégorie à la fois répandue et mystérieuse de "musiques urbaines". J'aimerais comparer les usages de cette étiquette dans les industries musicales françaises et britanniques.

Une Histoire du Rap?

Some French stuff pour une fois ( comment ça pour une fois? t'es comme un journaliste sportif toi, il y a une brassée de matches amicaux ou non mais tu ne parles que de France- Allemagne et...le micro était branché? Et bien..euh ce n'est pas comme cette journaliste américaine qui avait un jouet sous sa jupe, hein? rien de grave), interview de Karim Hammou ( pendant que je rajuste ma cravate) 1) Pourquoi un bouquin sur le rap français, sachant qu'il y en a déjà eu un paquet (même si le rap post 1998 a en effet été peu abordé)? Je crois au contraire qu'il y a peu de livres sur le rap français, et que nombre de choses restent à écrire. J'en resterai au type d'angle privilégié par mon livre : une histoire du rap, distincte à la fois des travaux décrivant l'état des lieux de "la culture hip-hop" ou "du rap" à un moment donné et des témoignages autobiographiques. Jusqu'à ce jour, soit trente ans après les débuts du rap en France, il n'existait que l'ouvrage qu'Olivier Cachin a consacré au rap dans son ensemble, dans lequel on trouve un chapitre dédié au rap français, l'ouvrage essentiel de José-Louis Bocquet et Philippe Pierre-Adolphe, compilant de nombreux entretiens réalisés en 1996 avec des acteurs de la scène rap, et le travail très récent de Thomas Gaetner, focalisé sur les années 1990. Aucun de ces ouvrages n'opte pour la lecture socio-économique qui est la mienne. Outre le fait qu'il s'agit d'un travail obéissant, en amont, aux méthodes des sciences sociales, c'est l'une des originalités de mon livre : articuler les transformations des industries musicales, des médias, des politiques publiques et des quartiers populaires à l'évolution du rap en France, et ne jamais traiter ces différents acteurs sans restituer leurs enjeux propres et leurs lignes de fractures internes. Si l'on entre dans le détail, l'une des originalités de mon travail réside aussi dans les matériaux sur lesquels il s'appuie. A plusieurs reprises, je privilégie l'examen systématique de documents : des 45 tours sur lesquels on trouve des morceaux rappés en français dans les années 1981-1984, des émissions télévisées (TF1, A2 et FR3) de 1987 à 1991, des albums de rap français de 1990 à 2004, les débats à l'Assemblée nationale évoquant le rap de 1990 à 2010. Le témoignage des acteurs vient alors compléter, préciser ou illustrer les éléments que je mets en évidence, mais il n'est pas premier. Cette méthode me permet d'introduire un certain nombre de repères quantitatifs et systématiques, de mettre à l'épreuve des faits la mémoire du rap en France telle qu'elle peut se transmettre d'amateurs en amateurs - moi y compris. 2) Comment l'idée de comparaison entre les groupes d'avant 1998 et après, des autoproduits, signés sur labels indé, signés sur major est venue? La comparaison entre les albums selon leurs conditions de production était assez évidente, la question des rapports majors / indépendants et celle de la concentration du marché du disque étant des problèmes traditionnels de la sociologie et de l'histoire des musiques populaires. L'idée de comparer des générations de rappeurs est plus originale. Elle ne vient pas, ou pas directement, des distinctions entre "old school" et "new school" qui scandent le récit habituel des évolutions stylistiques dans le rap. Elle vient d'une hypothèse, inspirée par le travail du sociologue Howard Becker : selon les conditions dans lesquelles leur apprentissage professionnel se fait, les artistes ne réalisent pas leurs oeuvres de la même façon. Un changement dans les conditions d'apprentissage du métier (parce que l'industrie du disque évolue, parce que de nouveaux médias émergent, etc.) peut donc conduire à des façons de faire du rap assez différentes. En distinguant des générations de rappeurs, j'ai pu mettre cette hypothèse à l'épreuve des faits. Et on voit que s'il y a beaucoup de différences entre la façon dont la première génération, de 1990 à 1993, et la deuxième génération de 1994 à 1997, réalisent leurs albums, les nouvelles générations qui arrivent dans le monde du rap à partir de 2001 s'écartent peu des manières de faire de leurs prédécesseurs. 3) J'ai feuilleté le livre, Ministère AMER est cité plusieurs fois, par contre Expression Direkt et TSN c'est la portion congrue (c'est le futur scribouillard qui s'exprime)... Ce serait une erreur de penser que la longueur du nombre de références dans l'index constitue un indicateur "d'importance" dans l'histoire du rap en France des groupes ou des artistes concernés. L'histoire que je raconte n'est pas centrée sur les seuls artistes, c'est une histoire collective, celle d'une pratique d'interprétation, et j'ai choisi d'illustrer chaque épisode par le cas de tel ou tel groupe en fonction des sources dont je disposais. En l'occurrence, l'analyse du rôle d'Expression Direkt est loin d'être réduit à la portion congrue, même si elle se focalise sur les premières années du groupe. Reste que mon histoire du rap s'intéresse particulièrement à la façon dont ce genre musical s'est intégré à l'industrie du disque, et que parmi les matériaux privilégiés résidaient dans les albums et les featurings. De ce point de vue, le rôle du Ministère AMER, puis de ses membres, et notamment Kenzy, fondateur de l'un des plus importants labels indépendants de l'histoire du rap en France, a une place de choix dans mon travail - sans commune mesure avec celle de TSN dont l'activité de producteur intervient relativement tard (à partir de 2000) et ne rivalisera jamais avec l'influence que le Secteur Ä a pu avoir à son époque. J'ai par contre certains regrets, je trouve notamment que l'analyse d'un label comme Night & Day fait défaut dans mon travail. Mais il fallait aussi que je mette un point final à cette histoire-là, charge à de futures recherches - les miennes ou celles d'autres personnes - de préciser, compléter, critiquer la lecture que je propose. 4) Quel rôle Tabatha Cash a joué dans l'essor médiatique du rap français (c'est un peu ironique comme question)? Sur le plan médiatique, ce rôle est anecdotique. Elle a contribué à freiner les préventions de l'équipe de Skyrock vis-à-vis du rap. En introduisant dans sa brève émission de libre antenne, animée avec Fred Musa en 1994-1995, une programmation rap principalement américaine, elle a démontré que cette musique pouvait séduire les auditeurs de la radio. Clara Morgane jouera-t-elle le même rôle pour le reggae dance hall (référence à son album produit/composé par Lord Kossity)? Aucune idée ! 5) Le rap français s'exporte-t-il bien dans les pays voisins (Suisse, Allemagne, Espagne, Italie surtout)? Il s'est bien exporté pendant les années 1990, oui, notamment en Angleterre, et plus encore en Allemagne. Les liens entre IAM, Sens Unik, et les groupes qui gravitaient autour d'eux y ont grandement contribué, mais aussi l'aura d'un marché du rap français florissant dans la deuxième moitié des années 1990 alors que la scène rap allemande restait bien plus underground. Pour ce qui est des années 2000, dans le contexte de crise de l'industrie du disque, je ne sais pas. (la suite au prochain épisode...)