Monday, February 27, 2012

Interview avec Jérémie Kroubo pour son livre "Vibrations Jamaicaines"

1) Présentation pour les novices (et ceux qui n'ont pas écouté l'interview de 2009/2010 malgré les 2 ou 3 rediffusions)...

Je suis docteur en langues, littératures et civilisations anglo-saxonnes de l’Université Bordeaux 3 et le livre « Vibrations Jamaïcaines » est tiré de ma thèse. J’enseigne actuellement à l’Université des Antilles et de la Guyane en Martinique. Par ailleurs j’ai écrit un 1er livre, « Les origines du reggae : retour aux sources », paru chez L’Harmattan en 2008.

2) Pourquoi cet intérêt pour la Jamaïque et ses musiques "locales"?

En fait j’écoute du reggae depuis très jeune. J’ai découvert ce genre musical vers 13 ans avec un pote qui jouait dans un groupe de reggae. Les côtés engagé et rebelle du reggae, ses rythmes afro-caribéens et l’idéologie rasta, entre autres, m’ont immédiatement plu. Ensuite je me suis intéressé aux autres genres musicaux jamaïcains, puis dès que j’en ai eu l’opportunité, je me suis rendu en Jamaïque pour approfondir mes connaissances.

3) As-tu rencontré ou contacté des gens comme Don Letts ou Basement 5?

Oui j’ai eu la chance de pouvoir interviewer Don Letts dans le cadre de mes recherches. Lors de notre entretien, il est notamment revenu sur les débuts du punk en Angleterre ainsi que sur les liens entre les mouvements punk et reggae.

4) Comment un "si petit pays" arrive à être aussi ou plus prolifique que "la Terre Mère", l'Afrique (cad la somme de tous les pays)?

Je ne sais pas si les Jamaïcains sont plus prolifiques que les Africains, mais c’est vrai qu’ils sont très féconds. Pourquoi sont-ils si prolifiques ? Je ne sais pas exactement, mais ce qui est sûr c’est qu’ils sont très créatifs et qu’il y a une véritable énergie et une profusion d’idées qui se dégagent de ce peuple. Produire et créer, ça semble être une sorte d’exutoire pour les Jamaïcains. Par ailleurs, l’utilisation massive de « riddims », héritée du dub et du toasting, contribue clairement à cet aspect prolifique.

5) Le reggae a semble-t-il eu des difficultés à s'imposer aux Etats-Unis, pourquoi selon toi?

Ben tu sais depuis des décennies, ce sont les Nord-Américains qui globalement créent les tendances, notamment d’un point de vue musical, donc il est difficile pour un genre ou des artistes non-américains de s’imposer aux Etats-Unis, en particulier si cette musique vient d’une petite île comme la Jamaïque et prône le retour en Afrique. Et puis quand le reggae est arrivé aux Etats-Unis par le biais de Bob Marley and the Wailers notamment, les Noirs Américains n’ont pas vraiment accroché, car eux ils étaient à fond dans la soul, le funk ou le disco. Le reggae était d’une certaine manière considéré comme trop « indigène » par le public noir américain de l’époque. Mais en réalité, depuis plusieurs décennies, la Jamaïque est un peu comme les Etats-Unis, dans le sens où il est très difficile pour un genre non-jamaïcain de s’imposer sur l’île.

6) Vu de l'extérieur on a l'impression qu'il y a beaucoup de chanteurs, toasters, DJs, et peu de musiciens...n'y a-t-il que des "requins de studio" type Sly & Robbie, ou de véritables groupes, en tout cas vendus comme tels, ont émergé, ou émergent, si on met le ska et les Skatalites de côté?

Non il y a énormément de musiciens, mais c’est juste que comme partout, ce sont les chanteurs et les toasters qui sont mis en avant sur les albums, dans les médias etc. En témoignent des mecs comme le guitariste Chinna Smith, le batteur Horsemouth Wallace, le bassiste Larry Silvera, le claviériste Tyrone Downie etc…Il y a vraiment plein de musiciens, et nombreux ont fait leurs armes au Black Ark, chez Lee Perry !

7) Bob Marley, Peter Tosh, The Congos ou d'autres groupes/ chanteurs sont réédités à plusieurs reprises. Hormis les labels, qui profite des bénéfices ou en tout cas des ventes?

Les artistes (s’ils sont encore vivants) ou leurs descendants tout simplement….

8) Est-ce que la vague anglaise (Aswad, Steel Pulse, Cimarrons....) est aussi respectée que les groupes jamaïcains (en Jamaïque, et ailleurs)?

Oui bien sûr, car ces artistes sont tous Jamaïcains, même s’ils ont fait carrière et pour certains grandi au Royaume-Uni. Ils sont aussi importants et respectés que des groupes comme Culture, Mighty Diamonds ou les Kingstonians.

9) A-t-on en France, Allemagne, Italie ou dans les pays de l'Est, l'équivalent d'un Steel Pulse?

Personnellement je ne pense pas. Il y a effectivement des artistes qui ont énormément de succès comme Alborosie en Italie ou Gentleman en Allemagne, mais ils ne sont pas Jamaïcains et ne sont pas perçus comme tels en Jamaïque. Mais ça ne les empêche pas d’obtenir une certaine reconnaissance là-bas.

10) Que dire sur la scène reggae (pas ragga/dancehall mais ska/rocksteady/reggae plutôt) hexagonale, des années 80 à maintenant?

Le reggae en France a connu son âge d’or dans les années 1990 avec des artistes comme Princess Erika, Tonton David, Daddy Nuttea, Saï Saï et Massilia Sound System, et surtout au tournant des années 1990-2000 quand les médias se sont intéressés à des artistes comme Pierpoljak, Sinsemilia, Baobab etc., mais sinon cette scène reste plutôt underground, en particulier en termes de ska et de rocksteady. Il y a aussi de très bons groupes de dub français, ainsi qu’une scène provinciale très active, mais globalement le reggae français et les genres dérivés ne sont pas trop médiatisés en France. Ce qui n’empêche pas les artistes d’être très dynamiques, surtout en matière de concerts.

11) Ton avis sur un groupe comme Bad Brains...

Il s’agit d’un groupe atypique dans le paysage musical nord-américain : des Blacks, des dreadlocks qui jouent de la musique de Blancs, du punk. En fait, ce groupe montre les liens qu’il y a pu avoir entre les mouvements punk et reggae. Ce sont deux mouvances rebelles et anti-establishment !

12) Peut-on dire que la musique punk, et la Oi, ont été fortement influencées par les musiques jamaïcaines pour les lignes de basse?

Fortement influencées c’est peut-être beaucoup dire, mais influencée oui je pense. En témoigne la musique de groupe comme les Clash ou les Sex Pistols.

13) Quelque chose à ajoûter, à préciser... projets futurs...

Je termine la traduction de « People Funny Boy » de David Katz. La biographie de Lee Perry devrait donc être disponible en français avant la fin de l’année.